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Gabrielle

ou le gardien de l’ange


(…)

A marée basse, on peut se rendre à Lairien, paraît-il, mais je n’y suis jamais allée. Mes parents me laissent vagabonder où bon me semble. Ils me font confiance ; à la seule condition que je ne m’aventure pas dans la grève, très dangereuse dès que la mer remonte. Je me contente donc des plages de Saint-Agu - elles sont suffisamment nombreuses et jolies - et de ce promontoire d’une beauté envoûtante qu’est le Chef de l’île.

J’y viens souvent car je peux y laisser vagabonder mon esprit. Surtout un jour comme celui-ci où j’en ai bien besoin. Je jette mes idées noires à un goéland de passage en lui demandant de les emporter au loin, ce qu’il fait, complice, en se lançant vers Lairien d’un court battement d’aile.

Le vent fouette mon visage et siffle à mes oreilles son chant de bienvenue. Je dénoue mon bandana que je renoue à mon bras gauche pour éviter qu’il ne s’envole. Mes cheveux me battent les tempes. Ils ne seront pas plus décoiffés que tout à l’heure ! Je saisis mes jumelles et je laisse aller mes yeux au hasard dans la baie. J’arrive à apercevoir l’entrée du port sur ma gauche et deux ou trois canots de bois qui attendent les rares pêcheurs partis au crépuscule pour ramener du bar, du maquereau ou de l’encornet.

La mer est au plus haut et c’est là, sous ses reflets de moire bleu-gris, qu’elle est la plus profonde, la plus sombre et la plus mystérieuse. On y devine des marins engloutis et des vaisseaux ravagés. Des histoires de pirates et de coffres gorgés d’or. Tout un univers fantasmagorique qui abdique cruellement, quand la marée basse, de sa grève nue, découvre des arbres morts, des roches acérées ou, moins glorieux encore, des déchets informes abandonnés par des vacanciers peu scrupuleux.

À force de scruter l’horizon avec mes jumelles, je sens mes avant-bras fatiguer et je n’ai pourtant pas encore étanché ma soif d’images lointaines. Pour mieux me caler, je décide de m’asseoir sur une dalle de béton qui affleure le sol et qui est située à l’extrême bord de la falaise. C’est un souvenir laissé, lui aussi, par des touristes. Mais des touristes d’un autre genre, de celui qui a séjourné ici en 39-45. Ils avaient construit ce blockhaus à la pointe du Chef de l’île et celui-ci servait de socle idéal de défense et de surveillance pour toute la côte environnante. Sur sa tête, je me trouve, moi aussi, idéalement placée. C’est le surplomb le plus avancé de la falaise. A moitié rassurée toutefois, je pose mes jumelles à mes côtés pour trouver la position la meilleure et je laisse pendre mes jambes dans le vide.

Au moment où je m’apprête à reprendre mes jumelles, je sens une main calleuse et ferme saisir ma cheville droite. Je pousse un hurlement de terreur. Un bras est passé à travers une espèce de meurtrière et une voix brutale et caverneuse fuse comme une flèche décochée vers moi :

« Qu’esse-tu fiches ici? »

Je me débats et parviens à faire lâcher prise à l’étau de doigts rêches qui emprisonne ma cheville. Je m’enfuis le cœur battant comme poursuivie par le fantôme du Capitaine Crochet!

Heureusement que j’avais mis mes chaussures de sport car là je décroche à coup sûr ma sélection pour le 100 mètres des jeux olympiques. Je dévale le sentier des douaniers. Ma robe s’accroche dans des ajoncs. Tant pis pour elle ! J’attrape la rue du Rouger pour aller plus vite. J’entends le son rythmé de mes semelles sur le bitume. Un cheval au galop n’irait pas plus vite que moi. J’arrive en sueur à la maison. J’entre en trombe et claque la porte. Ouf, sauvée !

« Oh, là, là, tu parles d’une trouille !  soufflé-je en m’adossant à la porte. »

(…)

pages 14 et 15


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