Pièce pour adultes.
N° de dépôt SACD : 000632642
2ème prix du concours 2022 d'auteurs d'oeuvres théâtrales au Petit théâtre de Vallières.
Trois personnages principaux : Deux hommes, une femme.
Marc Horion : vieux bougon solitaire enfermé dans son train-train étriqué.
Youri Vercor : une bonne trentaine d’années. Jeune homme un peu arrogant. Sûr de lui. Personnage de rebelle très engagé politiquement.
Ilanith : sa compagne. Une petite trentaine d’années, ou une grosse vingtaine. Même profil politique mais caractère plus doux, plus pondéré.
Résumé de la pièce.
Que se passe-t-il quand on a subi un drame personnel, conjugal ? Quand tous les projets s'effondrent ?… Soit on se reconstruit, soit on déconstruit les vieux schémas et on se barricade dans une vie dépeuplée de tout ; on verrouille toute aspérité, tout inattendu. Et c'est à ce prix que Marc, le personnage central, dans un contexte de société aux relents dictatoriaux, pense avancer dans la vie, pas à pas. Dans son petit appartement, avec son petit train-train rassurant, Marc jouit d'une forme grise, lisse, morose, du bonheur mais, pour lui, c'est un bonheur quand même.
Cependant, Marc verra ses certitudes confortables exploser sous l’ effet d’une intrusion inattendue. Inespérée ?
Appartement de Marc, célibataire. La cinquantaine. Côté jardin, deux portes strictement identiques. La première : l’entrée, avec au moins trois verrous visibles. Pour la seconde, un seul verrou. On apprendra ultérieurement qu’elle mène à l’étage du dessous. Cf : duplex. Côté cour une autre porte : cuisine ? salle d’eau ? Au centre, un canapé-lit déplié. Il faudra qu’il puisse être replié rapidement. Deux oreillers. Côté cour en avant-plan, une table et deux chaises identiques. Derrière : un buffet très ordinaire. Décoration très sommaire. Le quasi rien intentionnel. Hormis un tableau peint en blanc, au mur du premier tiers du décor, zébré d’une espèce de fissure. Bien en vue. Ce tableau évoluera aux changements de scène. Les volets (ou les rideaux) resteront fermés. Lumière artificielle.
Didascalie initiale :
Marc entre et agira comme un vieux célibataire. Il remet droit le tableau... qui est déjà parfaitement droit ! Il prépare, avec grande méticulosité et solennité, une table de repas avec deux assiettes, deux coupes de champagne, double couverts, etc. Tout cela étant très chic. Il revient fréquemment rectifier la disposition du tout. Maniaquerie apparente. Il allume en fond la tv. Passent alors des infos de manifascistations, de contre-manifestations et de répression violente. Agacé, il éteint. Sur la chaîne HIFI, il trouve un extrait de Don Giovanni de Mozart. Satisfait, il fredonne l’air. Puis :
1.
Marc: - Faudra vraiment que je me décide à résilier mon abonnement télé. Ah, mince ! j’allais oublier... Il s'empare du téléphone et compose un numéro. Allo? Georges?... C'est moi... ben oui, moi : Marc... Mon nom est enregistré dans ton répertoire de téléphone portable...Un temps... Apprends à t'en servir alors, c'est vraiment pénible que tu me demandes qui je suis à chaque fois que je t'appelle. Ça fait cent quatre-vingt-dix ans que ça dure ! Un temps ... Oui, mais depuis le temps, tu devrais au moins reconnaître ma voix ! Un temps... Bon, je t'appelle pour te prévenir que je n'irai pas à la réunion demain... Non, non... Il bafouille... j'ai... j'ai... trop de choses à régler cette semaine. Un temps... Oui, je sais, je suis à la retraite et toi aussi... Je ne sais pas pour toi, mais moi, je suis débordé ! Il s'agace... Allez, à plus tard Georges. Un temps... On se voit dans 15 jours. Il raccroche. Peut-être... On verra...
Il s’installe à la table de manière solennelle. Puis tend le bras vers le buffet, qui est à portée de main derrière lui, dans un geste mécanique. La porte du buffet s’ouvre sans qu’on voie ce qu’il attrape. Il se sert un Coca dans une des coupes en cristal. Un temps de dégustation. Puis il tend à nouveau la main vers l’autre porte du buffet qui bée sur un « mur » de boîtes de conserve. Toutes identiques. Des raviolis. Il fait semblant de choisir puis attrape la première venue, l’ouvre et mange les raviolis froids, à la cuiller, avec de grands bruits de déglutition.
(…)
2.
Entre un homme, en serviette de bain, mousse à raser sur le visage. C’est Youri. Concentré sur son « festin », Marc ne le voit pas d’emblée. L’intrus est passé par la deuxième porte côté jardin, qu’il a franchie rapidement. Il semble chercher quelque chose. C’est là que Marc le découvre. Stupeur !
Marc : - Mais, mais, mais... qu’est-ce que vous faites là ? Qui êtes-vous ? Qui vous a permis de, de... ? Dans cette tenue... ?
Youri : - Je réponds à toute ta batterie de questions à la fois ? Il choisit la 2e. Je m’appelle Youri, Youri Vercor... Vercor sans « s ». Y a plus d’eau. Pas évident en plein débroussaillage. Il frotte sa joue puis tend sa main à Marc qui la néglige. Marc : - Marc Horion, Horion avec un « H ». Ils ont coupé l’eau. Ça devrait durer deux jours, paraît-il. Des travaux sans doute...Vous n’êtes pas au courant ? La milice a pourtant mis des affiches partout. A chaque étage. Pas au vôtre ? Et puis, on ne pénètre pas chez les gens comme ça ! Mais d’ailleurs comment êtes-vous entré ?
Youri : - Par la cheminée... Il voit la tête ahurie de Marc. Mais non, par la porte évidemment !... Tu sais ces espèces de panneaux rectangulaires que les trouillards se sentent obligés de fermer à double tour pour protéger leur argenterie... Marc : - Je n’ai pas fermé ??? Bizarre... Pas dans mes habitudes pourtant. Je n’oublie jamais de vérifier le verrou ... A quel étage habitez-vous ?
Youri : - Au 5e.
Marc – Comment ça au 5e !? Je suis au 6e. C’est impossible ! Vous êtes nouveau dans l’immeuble ? Vous avez dû vous tromper de numéro, Youssef...
Youri : - Youri !... T’as l’air de bien connaître tes voisins et ton immeuble, dis donc... Je suis bien au 5e qui, sauf erreur de ma part, se trouve entre le 4e et le 6e... étage... Un vieux T3 moisi avec fenêtres sur rue et papier peint ringard tapissé de motifs floraux à la couleur indéfinissable... ou couleur chiasse selon les points de vue. Ça fait 8 mois que j’y crèche, je crois que ça m’autorise à bien connaître cet étage, non ? Par contre, je viens tout juste de découvrir qu’il y avait un escalier secret de liaison avec ton appart’. Marrant, non ? Il était caché derrière une armoire normande immonde, remplie de fringues ras la gueule. J’ai voulu la déplacer pour
essayer de suivre la canalisation d’eau qui passait derrière. Vérifier une fuite ou je ne sais quoi... Elle pèse plus lourd qu’un char d’assaut cette armoire !
Marc, estomaqué, marche lentement jusqu’à sa porte d’entrée. Il vérifie les verrous qui sont tous fermés ! Regarde l’autre porte et peine à croire ce qu’il commence à deviner.
Marc : - Vous avez dit 8 mois ?!! Mais vous êtes chez moi ! CHEZ MOI ! Depuis 8 mois ?!! Youri : - Chez toi, chez toi ? Je ne vais pas te contredire pour si peu, Marc. Essayant de le calmer comme on le ferait avec un fou. Là, tu es bien chez toi ... avec moi. Mais, je ne t’ai jamais vu prendre ton bain ou tirer la chasse d’eau à l’étage du dessous. Je m’en serais rendu compte !
Marc : - Mais si, mais si !
Youri : - Calme-toi Jésus, je ne te suis plus...
Marc, avec les larges gestes hystériques d’un grand propriétaire : - Le 5e étage et le 6e sont en duplex. Tout m’appartient, tout !... J’en ai assez bavé pour me le payer ! Un crédit sur 35 ans à 12%. Sans compter la milice qu’il m’a fallu arroser à cause de démarches administratives sans fin... Et puis, l’armoire normande immonde comme vous dites, c’est un héritage de ma mère... Vous êtes donc chez moi ! Aux deux étages, vous êtes chez moi !
Youri ironique: - Ah oui ! le voilà de retour, le fameux « chez moi » du bourgeois. Le Grand Capital en marche ! Vraiment, ça a de la gueule ! Je l’avais jamais approché de si près. Il lui tâte le biceps.
Marc sur le même ton : - Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas ! Et sortez de chez moi ou j’appelle la milice!
Youri : - Tu le ferais ? Noooon... Un temps... Mais si, il le ferait ! Allez, t’as gagné Marco, pas de rasage aujourd’hui. Déjà que c’était à l’eau froide, mais bon... T’aurais pas un peu d’eau chaude quand même ?
Marc, vociférant : - Dehors !!!
Youri repart par la porte donnant sur l’étage inférieur du duplex. A cet instant, on entend des tirs nourris et des cris provenant sans doute de la rue. Marc éteint tout et se couche contre le mur.
- Noir -
A suivre…
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